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Saison du Zéphyr, an 1326, jour 30.

Alors qu'à quelques heures du discours, je m'aventure à l'Ambassade afin de rencontre l'inquisiteur Eildan, qui me réclame audience depuis près de dix jours, j'observe quelques instants, derrière la tribune de l'hémicycle, le recrutement d'une jeune recrue. Après quelques paroles échangées avec le sous-officier, je remets à la fougueuse Norne qui rallie les rangs de la Grande Armée l'insigne militaire. J'explique à la nouvelle venue que le Tribun Kwath se chargera de lui fournir un parrain, afin qu'elle puisse s'assimiler pleinement à notre Ordre.

"Il serait fait selon vos désirs, Chancelier."

La vermine a parlé. Il me fixe, un sourire plus carnassier que jamais. Plus carnassier encore que lorsqu'il me menaçait de me faire tomber, secrètement, deux mois plus tôt. Il ne m'en faut pas plus pour comprendre. Il a gagné.

Je quitte alors l'Ambassade, le visage sombre. Non. Quel que soit le degré d'hypocrisie qu'ait pu, par le passé, atteindre Kwath, je sais que cette fois-ci, il ne bluffe pas. En arpentant les avenues d'un Promontoire Divin baigné d'un soleil aussi radieux que trompeur, la marée des réminiscences les plus obscures remonte en moi.


Deux mois plus tôt

De toutes les guerres, les pires sont invisibles. C'est à cette époque que je comprends que la plus grande menace n'est pas sur le champ de bataille. Non. Le danger le plus hostile vient de l'intérieur.

J'apprends de l'un de mes espions qu'une réunion a été organisée par Kwath, accueillant Spirti et Janamba, trois des quatre candidats en lice pour le Tribunat. Je les rejoins dans la villa louée par des fonds plus que douteux. J'observe, j'écoute, pendant quelques minutes. Je fais dresser une table de banquet pour les trois aspirants Sénéchaux. Ils discutent des changements à apporter dans la Grande Armée. Des secteurs à consolider. Des stratégies à entreprendre. Leur convergence d'idées ne tarde pas à abattre sur mon coeur une vague de colère.

"Je n'ai pas un seul ami autour de cette table."

Mes mots résonnent dans l'ancienne demeure ministérielle. Tous interrompent leurs flatteries communes. Ils me dévisagent.

"Vous dites tous la même chose. Vous faites tous le même constat, vous avez tous les mêmes solutions. Pourtant, vous vous présenterez tous les trois au poste de Tribun. Vous n'êtes que des orgueilleux rongés par vos velléités de pouvoir."

Les politiciens me dévisagent. Peu à peu, les insultes commencent à fuser. C'est alors que le Tribun Kwath, candidat à sa réélection, prononce les mots suivants.

"Vous n'êtes plus Chancelier."

J'assène un violent coup sur la table. C'est un déluge de menaces qui pleuvent entre Kwath et moi. Le félon prétend vouloir me renverser. Il bouscule ma légitimité. Attaque mon oeuvre. Violente le travail que j'ai accompli. En m'insultant, il insulte la Grande Armée. En insultant la Grande Armée, il me déshonore.

"La Grande Armée, c'est moi."

Attaqué sur mon ego par le nain démagogue, je ne sais pas encore que je lui tend les armes qui fourniront son arsenal. Le stupide Janamba prend parti pour Kwath. Lorsque j'ai brusqué la table par colère, celle-ci a tapé sur son front. Il n'en n'aura pas fallu davantage à ce crétin et dangereux émotif asura pour prendre parti pour celui qui souhaite renverser le Haut-Conseil. Spirti quant à lui, adopte la neutralité. Il sermonne Kwath, et ose tenter de me faire la morale.

C'en est trop. Le Phénix est menacé dans son équilibre par ce prétendu démocrate. Le démocrate, c'est moi ! Allez chercher une armée où la voix intérieure des forces armées est élue, et non nommée. Tendez donc la main, on vous dévorera le bras. Le Tribun en veut plus. Ça ne lui suffit pas. Il commence par plaider pour un Haut-Conseil fort, dénué de Chancelier. Une idée qui, entendue par la masse, semble louable. Entendue par un dirigeant qui sait tout des enjeux du pouvoir, elle est le premier pas le plus évident vers un coup d'État.

Mettant de côté l'indéniable part de "je", intrinsèquement placée dans l'Ordre que j'ai fondé et pour lequel j'ai fait tous les sacrifices, mon pragmatisme me fait savoir que la Grande Armée coure un danger terrible. Prendre le risque qu'un tel pouvoir tombe entre les mains de Kwath, c'est encourir le risque de ruiner les Cinq Nations de l'intérieur.

Quelques jours avant le grand débat entre les deux finalistes ; le félon Kwath, et le vétéran Rougaz Crossedacier qui a su éjecter les cupides autres candidats au Tribunat, j'organise une entrevue avec l'asura. Dans son QG de campagne, nous échangeons dans un dialogue scellé de sous-entendu. Alors que nous paraissons discuter de Chancelier à candidat au Tribunat, le secret de Polichinelle qui nous lie se morcelle, à mesure que notre cynisme nous guide vers toujours plus de haine l'un envers l'autre. Je lui indique que j'ai déjà commencé à bouger. Lui, s'approche de mon oreille, et me souffle...

"Si je ne vous tue pas politiquement, Chancelier. Je vous tuerai physiquement."

Je ne bronche pas. Il serait si facile de faire dégainer mon arme et d'empaler ce petit corps contre le mur. Mais l'immunité de Kwath est celle qu'il a acquise par la dangereuse voie de la démocratie. Il a su durant sa première campagne, et son mandat, rallier le coeur des hommes à ses discours démagogiques.

La semaine précédente, j'ai réuni les Sénéchaux Mime Bergung et Lorcky, et leur ai dévoilé l'exitence des Loups de Grenth, en compagnie d'Anna, qui n'allait pas tarder à devenir l'Exécutrice de la meute. Les Sénéchaux ont eu pour mission de partir pour la province mener une propagande favorable au régime en place, et à l'encontre de l'auto-proclamé bureaucrate Kwath. Peu à peu, l'influence que nous avions négligé regagnait du terrain dans le coeur nos hommes.
Si je leur ai dévoilé l'existence de cette cellule secrète, qui a toujours agi d'une façon plus subreptice encore que mon ombre, c'est parce que je savais la nécessité de mettre toutes les ressources nécessaires du côté du Phénix pour cette guerre politique qui avait éclaté dans les sphères du pouvoir les plus lugubres de notre Ordre. Le Haut-Conseil et les Loups de Grenth devaient collaborer, signer ce pacte antagoniste, pour défendre les couleurs de la Grande Armée.

Quelques jours ont passé après le Grand Débat qui opposa les finalistes Rougaz Crossedacier et Kwath. Les scribes ont véhiculé le débat auprès de tous nos hommes. Le vote tombe.

Le cancer de la Grande Armée vient de se déclarer pour la seconde fois.

La peste soit de ces idées que j'ai eu d'organiser le dépouillement des urnes en public. La honte soit de ce système électoral que j'ai impulsé. Moi qui, naïvement, avais songé à souder la cohésion de groupe par le représentant élu des armées, j'ai engendré le monstre qui terrasserait nos valeurs. Heureusement, je peux compter sur Tholnir, ancien Ambassadeur devenu mon Templier. Sur Mime, le plus sage de tous les officiers. Sur Lorcky, trop attaché à la Grande Armée pour la voir sombrer aux mains de celui qu'il a compris être un traître.

Alors que les Loups de Grenth enquêtent et que le Haut-Conseil se rallie à moi, l'obscure guerre politique est en marche. Nous ne pouvons faire publiquement tomber Kwath, et lui, se sait incapable de le faire. Pendant ce temps, je vais lutter sur divers fronts pendant des semaines, afin de reconquérir, si cela avait été ébranlé par le Tribun, leur parfaite allégeance. Les positions sont consolidées, nous effectuons des percées, jusqu'à collaborer avec les forces du Fort Trinité. En province, les hommes me sont tous fidèles. La plupart n'ont jamais vu Kwath. L'asura est un lâche. Jamais il n'ira combattre au-devant de ses hommes. Toutefois, il y a quelque chose qu'on ne peut pas enlever à cette fiente de Dolyak. Il est un fin stratège. Il me l'avait dit de vive voix, et je m'en aperçois de plus en plus. Il a conquis des personnes à sa solde. Mais si la masse des troupes n'est pas consciente du danger qu'il représente, et si ses soutiens n'ont aucune idée de l'opposition qu'il a envers moi, des personnalités importantes de la Grande Armée ont été corrompues par le venin de ses idées révolutionnaires.

Je me fais un solide allié de Dusaral. Une recrue, qui deviendra par la suite mercenaire, et homme de main de l'Exécutrice Anna Hawsk. Toutefois, l'homme restera mis à l'épreuve de longues semaines. Il doit devenir l'instrument de notre victoire. Et nous devons nous assurer de sa fidélité, plus qu'aucun autre.

La fidélité de la quasi-intégralité du Haut-Conseil me revient. C'est un jeu dangereux. Nous ne pouvons en avertir les troupes, sous peine de déclencher une guerre civile. Les Sénéchaux, Inquisiteurs et Templier de notre Ordre tiennent à préserver la Grande Armée dans le creuset de sa nature originelle. La bataille sous-jacente progresse. Pourtant, les choses ne nous sont pas simplifiées. Le Sénéchal Benatorn disparaît, puis revient à nous, victime d'une malédiction. L'inquisiteur Janamba, incontrôlable, est manipulé par des forces antiques. Nous perdons le fil. Nous ne savons plus où est l'ennemi. Nous sommes attaqués de toute part. Politiquement, par la voie de la magie, et sur le front. C'est pourquoi le Haut-Conseil et mes templiers forment le noyau solide de la préservation de la Grande Armée. Tous se donnent du mieux qu'ils le peuvent. Tous oeuvrent en permanence pour maintenir le cap. Quand l'un flanche, tous le rattrapent. Nous sommes toutefois dans le doute. Je soupçonne Kwath d'avoir placé des taupes parmi nous.

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Dusaral s'avère être une arme excellente. Il a déjà récolté de nombreuses informations, et nous reste fidèle. Il ne comprend pas pourquoi il agit, mais il le fait. Grand bien nous en fasse. Un soir, nous nous rencontrons. Il me dresse, une fois de plus, un rapport complet. Il a pour mission d'assurer ma protection et d'espionner les anomalies dans la Grande Armée. Il sait qu'il y a un traître. Il me demande de qui il s'agit. Je lui rétorque, avec transparence, que pour m'assurer qu'il soit le plus précautionneux dans toutes ses inspections, je ne lui dirai pas de qui il s'agit.

"Kwath...?"

Il a compris. Je ne dis mot. Il commence à être las de ne pas savoir ce pour quoi il est employé.

"Qu'est-ce qui vous dit que je ne suis pas là pour vous assassiner ?"

Il ne sait pas pourquoi je lui confie une telle confiance. Mais par dessus tout, ce qu'il ne sait pas, c'est que je n'ai pas d'autre choix. Pour toute réponse, je lance la mâchoire de draconide qui me fait office d'épée à l'autre bout du pont du navire aérien de Fort Trinité. Je retire mon heaume, et le plante mon regard dans le sien.

"Si tu es là pour me tuer, fais-le, maintenant. Cette chute me serait fatale."

Il n'en faut pas plus pour le déstabiliser. Après un discours comme je sais les faire, je lui redonne du coeur au ventre. Je m'assure ainsi de sa fidélité absolue. Il a désormais le droit de savoir. Anna, quelques jours plus tard, m'annonce qu'il est prêt. Il devient alors mercenaire, au service des Loups de Grenth, tandis qu'Anna est placée Exécutrice. À présent, il sait tout. Il sait tout à propos de Kwath, et de cette situation nauséabonde.

Tholnir Crindor, mon plus fidèle ami. Après un long exode, il revient parmi nous. Benatorn, lui, est mis dans le secret la même semaine que le Templier Crindor. Nous les initions aux enjeux terribles auxquels est confrontée la Grande Armée. Avec une grande lucidité, ils comprennent la situation, s'en alarment, mais ne protestent pas. Nous devons agir ensemble, et rapidement.. Le second mandat de Tribun de Kwath arrive à son terme dans quelques semaines, après quoi, notre Constitution l'exige, il ne sera plus éligible. C'est lorsque la bête est à l'agonie qu'elle se fait la plus féroce. Je mets en garde le Haut-Conseil. Nous pouvons nous attendre à tout. Je ne manque pas de faire le lien avec la découverte de Dusaral et d'Anna. Une ascalonienne, basée à Noirfaucon, souhaite ma mort. La possibilité que le Tribun puisse entrer en contact avec elle n'est pas à exclure.

Si nous pouvions nous attendre à tout, nous ne nous attendions pas à une telle bourde. J'ai toujours appris à ne jamais sous-estimer mes ennemis. Durant le procès de Janamba, le Tribun Kwath mène la séance. Les attaques verbales qu'ils me fait n'ont plus rien de subtil. Nous avons réussi. L'armée est de notre côté. Les troupes commencent à percer la vraie nature du félon. La voix de Tholnir s'élève pour remettre l'asura à sa place. Lors des délibérations privées du Haut-Conseil, Kwath est à bout de nerfs. Il revendique sa position vis-à-vis de moi. Il affirme tout ce qu'il m'a dit en privé, face à tout le Haut-Conseil. Le doute ne persiste plus en l'esprit d'aucun des plus éminents membres de la Grande Armée.

Au terme de la décision finale quant au procès de Janamba, la voix de Kwath et celle de Tholnir s'élèvent. Le félon finit par salir le nom du Templier. Certains soldats, encore présents, observent la scène. La scission qui règne dans les plus hautes sphères de la Grande Armée est publiquement affichée. Toutefois, les têtes sont avec nous. Les hommes, en conséquence, suivent. Mais nous avons pensé à tout. J'ai ordonné à Sephorita, ancien bras-droit d'Oubrok, chef du Clan du Croc Argenté autrefois allié à la Grande Armée, de profiter de son statut de soldat pour convaincre nos armées par le bas, et pas seulement par le haut.

Une semaine plus tard, la fidélité de tous était acquise. Ne restait que celle de l'inquisiteur Eildan qui était, jusqu'ici, floue, et qui se confirma quelques heures avant que ne soit prononcé l'Ultime Discours.

L'Ultime Discours. Mon Ultime Discours. Je l'avais bien commandité afin de planter le clou décisif dans le cercueil du félon Kwath. La veille de celui-ci, je me réunis avec Dusaral et Lorcky, à la suite d'une mission commanditée par la chef de régiment Garsta Grisenclume et guidée par le Sénéchal Charr. Une nouvelle tombe. Anna serait en liens avec Kwath. Une rage indicible obscurcit ma vision, mais les deux hommes parviennent à la contrôler. Je ne sais plus quoi penser. Je pars dans l'idée qu'Anna n'est qu'un vulgaire agent double du Tribun, elle, l'Exécutrice, le bras armé qui agit dans les ombres du Phénix. Celle en qui j'ai fait le sacrifice énorme de lui offrir toute ma confiance. Je ne comprendrai que nous faisions fausse route que le lendemain. Le dernier jour.



Saison du Zéphyr, an 1326, jour 30.

Enfin ! Le jour est enfin arrivé où je terrasserai la vermine Kwath. Le jour est enfin arrivé où, quelques jours avant la fin de son mandat, le Tribun ne tombe en désuétude face à la toute puissance du Haut-Conseil légitime de la Grande Armée.

Accompagné par mes Templiers et l'Exécutrice Hawsk, je monte les marches de ce lieu, symbole de notre pouvoir. Les troupes sont en haie d'honneur. L'étendard de la Grande Armée flotte sur l'Ambassade. Je ne vois pas Kwath. J'en viens à oublier ce sourire sardonique qu'il m'avait adressé, quelques heures plus tôt. Il manque à l'appel. Il se sait vaincu. Il bluffait. Nous avons gagné. J'ai gagné.

Je monte sur la Tribune. C'est alors que j'entonne le discours qui me semble être le plus réussi de ma vie. Je parle avec mes tripes. Je suis redevenu le Chancelier légitime de la Grande Armée, aux yeux de tous. Les foules acclament mon discours patriote. Je mets l'accent sur la défense que nous devons apporter aux Cinq Grandes Nations. Je rappelle la différence qui sépare intrinsèquement l'Ordre du Phénix de l'Arche du Lion. Nous ne sommes pas une union mondiale. Nous sommes une union multi-nationale. Nous sommes là pour défendre les valeurs et les coutumes de chaque patrie, de chaque peuple, et nous devons relever, dans la fraternité, la souveraineté des Cinq États à genoux. Nous ne sommes pas la Garde du Lion, qui ne fait que Garder les intérêts des oligarques de l'Arche du Lion ! Les foules m'acclament. Je le sens à nouveau. Enfin, nous ne formons plus qu'un seul corps. Enfin, il n'y a plus aucun clivage au sein de la Grande Armée.

Nous sommes redevenus cette union fraternelle, sans distinction de classe ni de race, qui poursuit un seul et même projet. Le projet que j'ai eu la force d'impulser. Le projet que j'ai l'honneur de guider. Bon sang. Je le savais. Tous ces sacrifices n'auront pas été vains !

"Vous incarnez l'espoir charnel des Peuples de Tyrie !"

J'ai la sensation qu'un tesson de glace pénètre mes entrailles. Un voile noir s'abat sur ma vision. Je sombre. Je convulse. Non ! Ce n'est pas possible ! Pas maintenant !!!

Spoiler:

J'entends les ombres... Elles m'appellent... Elles m'appellent...

"Ulrich !"

Je tends une main tremblante. Je reconnais la chaleur d'Anna. Je la lui serre. Je me sens basculer dans l'outre-monde. Un homme jette un liquide brûlant sur ma plaie. Je tente de hurler, mais je ne fais que tousser et cracher des gerbes de sang. Ce qui m'entoure devient plus clair. Dans une douleur terrifiante, je discerne l'Exécutrice et le mercenaire Dusaral. Ils sont là pour moi. Un médecin recoud ma plaie. Je les entends dire que la dague était imbibée de poison. Alors... C'est donc ça... Il a gagné...?

Je vis mes derniers instants, et les dieux ne me font pas l'honneur de pleinement les ressentir. Je me sens m'élever dans une transe alimentée par la douleur exécrable de ce poison qui bat dans mes veines. Pourquoi les choses doivent-elles finir ainsi ?

Anna serre ma main. Je la serre d'autant plus fort. Je secoue la tête de gauche à droite, en crachant de nouveau ces flaques de sang sur mon torse. Je sens sous mon dos les draps s'humidifier de mon hémoglobine. Le médecin me fait boire une fiole au goût abject, dont je recrache la moitié du contenu. Je tremble. J'ai froid.

"Th... nir..."

Je crois entendre le battant d'une porte s'ouvrir brusquement. J'entends le norn accourir et se mettre à genoux. Je le comprends plus que jamais. Je suis sur mon lit de mort. Je réunis mes dernières forces, entre deux quinte de toux noyées dans mon sang. Je parviens à balbutier quelques mots. Dix minutes. Ça n'a sans doute pas duré plus longtemps.

"J'ai... perdu ?"

Le norn me cramponne la main, en secouant sa tête en tout sens. Alors, ça ressemble à ça, ma fin ? Tué comme un chien ? Je parviens à dire l'important. Tout le respect que j'ai pour lui. Merci, Tholnir. Merci de m'avoir suivi jusqu'au bout. Merci de me rassurer, jusqu'à l'instant de mon trépas. De me dire que tes ancêtres m'accueilleront. Avec difficulté, je rallie les derniers soubresauts d'énergie qu'il me reste pour lui demander d'aller chercher le Testament. J'ai confiance en lui. Il doit le rendre à Anna. Et enfin... Kwath tombera.